Manifeste Prisme d'Yeux

Présentation

Six mois avant Refus global, a paru en février 1948 le manifeste Prisme d’yeux, signé par un groupe d’artistes rassemblés autour d’Alfred Pellan, parmi lesquels Louis Archambault, Léon Bellefleur, Albert Dumouchel, Arthur Gladu et Jacques de Tonnancour. Contrairement à Refus global, qui est un plaidoyer en faveur d’une libération sociétale générale nécessaire à l’indépendance de l’art, Prisme d’yeux est essentiellement un manifeste en faveur de la liberté de la pensée et de l’indépendance de l’art.

Texte du manifeste

Du mouvement de ces dernières années, Prisme d'Yeux : mouvement de mouvements divers, diversifiés par la vie même.

Aucune esthétique nouvelle, spéciale et spécialisante! (régionalisme sur le plan de l'esprit). Le mouvement n'embarque personne dans une galère où tous, esclaves d'une théorie possessive à démontrer, rameront sans voir par devant ni même par derrière, sans espoir de faire le point.

Au contraire, Prisme d'Yeux, se rallie à la plus ancienne esthétique, à la plus éprouvée, à la plus contemporaine aujourd'hui comme à l'époque des cavernes : celle qui ouvre toutes les voies, souvent opposées, mais également possibles et vraies comme le jour et la nuit, le feu et l'eau . . . Donc la plus révolutionnaire!

Prisme d'Yeux s'ouvre à toute peinture d'inspiration et d'expression traditionnelle. Nous pensons à la peinture qui n'obéit qu'à ses plus profonds besoins spirituels dans le respect des aptitudes matérielles de la plastique picturale.

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Nous cherchons une peinture libérée de toute contingence de temps et de lieu, d'idéologie restrictive et conçue en dehors de toute ingérence littéraire, politique, philosophique ou autre qui pourrait adultérer l'expression et compromettre sa pureté.

Peinture pure? - Si l'on veut.

Mais purifier l'expression ne réduit la valeur humaine de l'œuvre. C'est plutôt l'élever à un état supérieur d'où s'étendra davantage son rayonnement.

L'expérience picturale de chacun, c'est notre profond désir, doit appartenir à la vie et par conséquent devenir inhérente à toute autre expérience vitale dont elle sera la projection.

Comment peut-elle autrement atteindre au titre d'universelle?

Exigeant sur ces points, Prisme d'Yeux veut croître par sélection naturelle et réunir les forces saines de notre peinture qui s'orientent nettement dans ce sens.

Prisme d'Yeux ne s'organise pas contre un groupe ou un autre. Il s'ajoute à toute autre société qui cherche l'affirmation de l'art indépendant et n'exclut nullement le privilège d'appartenir aussi à ces groupes.

C'est en toute objectivité mais avec prudence que Prisme d'Yeux recrute ses membres. Il ne juge qu'en fonction de l'intensité et de la pureté de leurs œuvres en regard de la tradition.

L'admission d'un nouveau membre ne se décide pas par la voix d'un chef (Prisme d'Yeux n'en a pas) ni d'un comité d'admission rnais par la voix de tout le groupe aux trois-quarts favorable.

En plus, nous avons, à l'unanimité, rejeté la formule d'un jury qui, ailleurs, filtre les envois de ses membres avant chaque exposition. Par cette décision nous laissons à chaque membre admis la pleine responsabilité de ses œuvres, responsabilité non partagée — aux yeux du public — par les autres. Mais aux yeux du groupe, il engage son honneur. Nous croyons ainsi promouvoir l'auto-critique, maintenir des valeurs maximales et vivre de cette ambition.

Le texte de Prisme d'yeux, discuté en détail par tout le groupe,a été rédigé par Jacques de Tonnancour.