La famille Hutchison et la céramique

L’artisanat n’est plus le monopole des ruraux; des citadins s’y adonnent aujourd’hui avec succès
Le cas de la famille Hutchison, de la rue St-Hubert.
Un fils fondateur du premier atelier de céramique à Montréal.
Madame Hutchison, mère, créatrice d’une poupée canadienne.
Les demoiselles Hutchison continuent l’industrie de leurs frères.
Et le père continue le métier secondaire des Hutchison, celui d’accordeur de pianos.

Par Léon Trépanier, O.B.E.

C’est presque une vérité de La Palice de dire que les arts domestiques ont pris naissance dans nos campagnes. Les arts domestiques ont fait suite à l’industrie familiale, c’est-à-dire à la production des choses les plus nécessaires à la vie.

Le jour où on a pu se dispenser de l’ingéniosité individuelle pour se procurer ses choses, on a continué à travailler, mais on a créé, on a innové, en faisant marcher le rouet ou le métier à tisser. Il en a été de même chez le travailleur en bois qui est devenu sculpteur… sans le savoir, le forgeron qui a battu des pièces en les transformant artistiquement.

Les gouvernements se sont émus de ce travail d’évolution et leur coopération à donner naissance à l’industrie artisanale qui, dans notre province, est un facteur précieux au développement de l’industrie touristique.
Nous avons maintenant nos artistes ruraux, de réputation quai internationale, et avec la création d’écoles des beaux-arts, d’écoles de meuble, d’écoles de céramique, d’arts graphiques, etc., il était à prévoir que le goût de l’industrie artisanale se répandrait dans nos régions urbaines.

Quelques artisans de nos villes ont même fait école alors que d’autres exploitent avantageusement une petite industrie artisanale de leur création. Des familles presque entières ont voué leurs talents au développement de l’art artisanal, cependant que le chef de la maison poursuit le métier qui fut le moyen de subsistance de l’aïeul.

C’est le cas de William-Victor Hutchison de la rue St-Hubert dont je suis tenté de parler un peu longuement, parce qu’il est resté le personnage anonyme, dans une famille dont il est le chef, le responsable de la réputation que les Hutchison, mère, fils et filles, ont acquise dans l’industrie domestique de la céramique.
Je joins volontiers aux mérites de M. Hutchison, ceux de son épouse, qui a non seulement orienté ses enfants vers l’art dans lequel ils excellent, mais qui a elle-même donné l’exemple en créant une poupée canadienne, avec tête de terre cuite, et costumée d’étoffe du pays.

« De la vie des choses à la vie des hommes qui les animent en les aimant, la route est courte et rayonnante », écrivit un jour Françoise Gaudet-Smet. Le chemin de la céramique Hutchison est engageant. Le père est accordeur de pianos : on entre donc en cette maison dans l’harmonie. Et l’exigence de l’oreille juste en crée bien d’autres. William-Victor Hutchison poursuit sans relâche, depuis plus de cinquante ans, son métier d’accordeur de pianos, métier que son grand-père William-John Hutchison, né en Écosse, avait révélé à ses enfants.

Le grand-père était également fabricant d’instruments. La technique de son art, il l’avait transmise à ses enfants, il l’avait partagée avec ses frères et ce fut l’un de ces derniers, Alfred, qui, établi à Québec, fonda en 1892 avec Henri-Edgar Lavigueur, la maison Hutchison et Lavigueur qui subsiste encore. E.-R. Lavigueur fut subséquemment maire de Québec, député pendant 18 ans, à la Chambre des Communes et décéda en 1945 après avoir été honoré par le Saint-Père du titre de Chevalier de l’Ordre de Pie IX.

On se souviendra qu’à l’époque où M. Lavigueur était maire de Québec, on aimait à le signaler comme le maire, dans l’Empire britannique, possédant le plus grand nombre d’enfants, puisque sa progéniture s’élevait à 29. Le père de notre concitoyen William Victor avait été longtemps à l’emploi d’Arthur Lavigne, violoniste, dont l’établissement de musique eut une grande vogue à Québec.

Monsieur William Victor Hutchison est né à Québec en 1883, du mariage de William Hutchison et de Jeanne Lafrance, issue des Hieveux dit Lafrance, de Bourges, France. L’oncle maternel de Madame Hutchison fut le chef de la maison de reliure bien connue de Québec, Victor Lafrance.

« Dès l’âge de treize ans », nous dit notre concitoyen, « mon père m’initiait à l’art d’accorder les pianos, mais il me fallait étudier à fond la mécanique de l’instrument, et quelques années plus tard, j’entreprenais un stage de cinq ans à la maison Heintzman de Toronto après quoi, je retournai à Québec, armé de connaissances techniques du métier et me mis sérieusement à la pratique d’un métier, qui était celui de mon grand-père, celui de mon père et qui devait constituer toute ma carrière. Je connais toutes les régions du Québec comme elles me connaissent et rien ne m’enchante comme la satisfaction que me témoignent les institutions religieuses et autres que j’ai servies depuis. »

En 1915, à Québec, M. William Victor Hutchison épouse Blanche Dorion, de Saint-Hyacinthe, petite fille de Charles Dorion, magistrat de district en 1872 et recorder de la ville de Sorel en 1886. Charles Dorion eut une carrière intéressante. Né à Saint-Ours, il avait été admis au Barreau en 1862 et en 1870, il fondait « Le Courrier de Sorel ». Très actif dans les domaines sociaux de Sorel, il avait été président de la Société Saint-Pierre et avait collaboré à la « Gazette » de Sorel, fondée par Georges-Isidore Barthe. Son fils, père de Mme Hutchison, fut aussi un collaborateur à plusieurs journaux.

C’est en 1924 que monsieur Hutchison vint habiter Montréal avec sa famille, et travailler pour le compte de nombre de nos maisons. Monsieur Hutchison nous raconte ensuite comment la céramique fit son entrée au foyer. L’aîné de ses fils, Willie, étudiait à l’École des Beaux-Arts quand le directeur de l’institution, monsieur Maillard, décida d’ouvrir une section de céramique et d’initier quelques élèves à l’art de manier la glaise et de transformer les argiles en objets d’art.

Willie fut l’un des quatre premiers élèves de cette section de céramique. La condition de l’entrée des élèves dans cette section était que, leur cours étant terminé, leurs parents seraient en mesure de faciliter les moyens de poursuivre leur art, en ouvrant des ateliers. Le frère Georges, qui, déjà suivant des cours de dessin, ne tarda pas à se diriger vers l’École des Beaux-Arts pour partager les études en céramique, entreprises par son frère ainé.
Formés par l’habile sculpteur canadien Pierre Normandeau qui, à Paris, avait étudié l’art de la céramique pour l’enseigner plus tard à notre École des Beaux-Arts, les frères Hutchison étaient bien armés pour élargir d’une façon profitable le domaine de leurs connaissances. Que de fois, avons-nous trouvé un agréable dérivatif à nos occupations journalières, en visitant l’atelier des Frères Hutchison, dans une arrière-cour de la rue Mentana.
Cet atelier n’existe plus, car les deux artistes se sont tous deux éloignés de Montréal pour s’en aller, l’un dans l’Ontario, l’autre dans l’Ouest canadien, faire bénéficier leurs compatriotes de leurs connaissances. Mais que d’œuvres d’art sont sorties du petit atelier de la rue Mentana ! Pendant cinq ans le petit atelier bourdonna d’activité, car déjà, les sœurs Hutchison, Gabrielle et Jeannette, apportaient leur apport dans le travail et devaient plus tard continuer l’œuvre de leurs frères.

Au cinquième anniversaire de fondation de leur atelier, les frères Hutchison pouvaient déjà montrer une trentaine de modèles différents et surtout cette admirable tête de Beethoven, d’après la sculpture de Jean Meroz. Mais la Grande Guerre éclata, à la clôture même de la seconde exposition de l’ile Sainte-Hélène où les ateliers Hutchison avaient pu faire admirer leurs créations et l’on vit les deux artistes, et plus tard deux plus jeunes frères endosser l’uniforme et accomplir patriotiquement leurs devoirs de soldats.

Deux d’entre eux choisirent l’aviation, un troisième, la marine et le quatrième, l’infanterie. Il n’y eut pas cependant d’interruption dans le travail des artistes puisque les sœurs Gabrielle et Jeannette devaient profiter de l’expérience qu’elles avaient acquise pour continuer le métier. Mais il semble que la mère qui veillait jalousement sur la carrière de ses enfants avait elle-même une ambition, celle de collaborer d’un façon active à l’œuvre principale du foyer.
C’est cette ambition bien légitime qui nous a valu une création de poupée canadienne, une vraie poupée du terroir, au visage fait de terre cuite, de douze ou quinze modèles différents, habillés à la mode de chez nous avec costumes tissés ou faits à la main, et plus tard ces poupées paysannes des principaux pays d’Europe aux costumes de couleurs variées et typiques.

Ce n’est guère faire une réclame exagérée que de dire qu’aujourd’hui les poupées de Blanche Dorion Hutchison sont recherchées par les gens de bon goût et les touristes avides de beau. Mais surtout, cette initiative maternelle occupe Gabrielle et Jeannette puisque ces dernières ont la tâche de fournir les têtes en terre cuite. On croirait que le perré aurait fini lui aussi par partager les goûts de la famille dont il est le chef, mais s’il est fier de la réputation que la céramique a value à sa famille, il ne continue pas moins à s’agripper à son métier d’accordeur de pianos.
Et il vous arrivera de le rencontrer, comme il m’est arrivé à moi-même tantôt à Rimouski, tantôt à l’extrémité de la Vallée du Saint-Maurice ou bien sortant d’une institution de Bonnes Sœurs. Willie, l’ainé, celui qui donna naissance à cet art qui se perpétue dans la famille, l’art de la céramique, est aujourd’hui dessinateur en mécanique et professeur de céramique à Kingston ; Georges occupe un poste important dans la grande fabrique de poterie Medelta, à Medecine Hat ; Henri et Robert font partie du personnel de la British United Press à Montréal ; Gustave est photographe et le cadet Pierre est aux études.

Quand le bon docteur Brock Chisholm, directeur-général de la santé mondiale des Nations Unies, déplore l’existence des familles nombreuses qu’il qualifie de « tradition désuète », il ignore peut-être ce dont notre terre québécoise s’est enrichie le plus : de nombreuses familles. La famille Hutchison n’est pas une exception à la loi évangélique qui réglemente la vie des citoyens d’origine française du Québec, et l’accordeur de pianos Hutchison, son épouse dévouée, Blanche Dorion Hutchison, créatrice de la poupée canadienne sont un des nombreux couples fiers de leur progéniture.

La famille Hutchison

Victor Hutchison, Blanche Doiron Hutchison et leurs enfants.

Cet article a paru dans La Patrie, le 26 septembre 1948, pages 70 et 107.