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La mémoire de l'art visuel au Québec

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1er septembre 1890

L'exposition des Beaux-Arts de Montréal

Historique

 “Le 1er septembre, s’est ouvert à la salle Cavallo, sous le patronage de M. L. O. David, une exposition des beaux-arts, la première sans doute qui ait été faite au Canada. C’est à l’énergie et à l’activité de MM. Pruneau et Etienne que nous la devons.  Ce n’est pas une affaire ordinaire que de monter une exposition, surtout quand il s’agit d’une exposition de beaux-arts. Aussi les difficultés n’ont pas fait défaut, et il a fallu un courage surhumain pour aller jusqu’au bout.  Cependant, en dépit de tous les obstacles, les organisateurs ont réussi à grouper de beaux travaux en peinture, en statuaire, etc. Vraiment, on est émerveillé de voir un aussi grand nombre de beaux ouvrages réunis dans une même salle. Et l’aspect de la salle Cavallo, avec toutes ses peintures, ses statues, ses travaux en tous genres et ses décorations, est splendide à voir. Aussi ceux qui y sont allés une fois, désirent-ils y retourner une seconde et même plusieurs fois.  MM. Pruneau et Etienne, en organisant cette exposition, ont eu un beau but en vue : celui de doter Montréal d’une exposition annuelle de beaux-arts, quelque chose comme le Salon de Paris. Comme beaucoup d’autres, ils s’étaient aperçus que la création d’une exposition semblable était devenue presque une nécessité, vu le grand nombre d’artistes que nous possédons au Canada. 

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Car si nous voulons que tous ces jeunes artistes de talent que nous possédons puissent vivre et avoir un peu de notoriété, il faut nécessairement leur fournir les moyens de se faire connaître. Et il n’y en a pas de plus excellent qu’une exposition de leurs œuvres. 
Les organisateurs réussiront-ils dans leur noble et généreuse entreprise ? Nous en doutons fort, si nous en jugeons par les débuts. 
Du côté des artistes, on a bien répondu à l’appel, et nous n’avons rien à leur reprocher ; ils auraient pu être plus nombreux, sans doute, mais il y en a cependant assez pour rendre l’exposition variée et intéressante. 
Mais du côté du public, nous ne pouvons pas en dire autant. Lui, est demeuré tout à fait indifférent au mouvement, en dépit de tous les appels qui lui ont été faits. Et les jeunes artistes, en conséquence, voient leurs toiles décorer les murs d’une salle presque vide de spectateurs. 
N’est-il pas honteux pour une ville comme Montréal de montrer un tel dédain à l’endroit des beaux-arts ? Tandis que l’on voit le public se porter en foule en certains endroits pour voir des équilibristes, des saltimbanques, des chanteurs sur le retour, des danseuses de café-concert et autres choses du même acabit, on ne trouve personne pour donner un peu d’encouragement à une grande et belle œuvre. 
Pourtant, les jeunes artistes qui exposent leurs travaux à la salle Cavallo méritent autre chose que de l’indifférence, car ils ont du talent, du courage et le désir d’attirer sur leurs noms l’attention, et par cela de faire honneur à leur Pays. Comme tous ceux qui s’occupent d’art, ils sont pauvres et ne peuvent vivre que du produit de leurs travaux. Que feront-ils, si le public ne les encourage pas ? Nécessairement il leur faudra prendre le chemin de l’étranger. 
Et quelle perte pour notre pays que le départ de tous ces jeunes gens courageux, qui, à force de travail et d’économie, sans maître et sans aucun aide, se sont fait ce qu’ils sont! Certainement, parmi eux, il y en a qui seront des maîtres dans l’avenir. 
Non, non, cela n’arrivera pas, nous l’espérons en dépit de tout ; on trouvera dans notre population quelques hommes de cœur pour empêcher un tel désastre, car c’en serait un véritable. 
Malgré le peu d’encouragement donné à la première exposition des beaux-arts, nous espérons qu’elle ne sera pas la dernière qui sera faite ici. Au contraire, nous faisons les vœux les plus sincères pour que tous les ans nous en ayons une du même genre. Pour aider au maintien d’une exposition semblable, le gouvernement et le conseil municipal de Montréal ne devraient-ils pas prêter leur aide ? Nous pensons que oui, car c’est vraiment une œuvre nationale. 
Si la France tient la tête pour les beaux-arts, en Europe, elle doit cet honneur à la protection qu’elle sait leur donner. Sans cela, elle ne serait jamais parvenue à enlever à l’Italie l’un des plus beaux joyaux de sa couronne ; et l’Italie s’est vu enlever ce beau titre par son indifférence vis-à-vis des beaux-arts. Pourquoi le Canada, cet enfant de la France demeuré si semblable à sa mère, ne ferait-il pas la même chose en Amérique ? 
Allons, que tous se tendent la main pour assurer la fondation d’un salon canadien ; que le gouvernement et le conseil municipal, si généreux pour d’autres œuvres, n’oublient pas les artistes. Pour notre part, nous serons heureux de les voir se grouper ensemble, dans la métropole mercantile du Canada, pour former une école canadienne. ”

Source : G.A. Dumont,  in  Le Monde illustré Vol. 7, no 333 (20 septembre 1890), p. 323