La Presse 7 novembre 1957

Lutte avec la matière derrière une imagerie neuve et humoristique

I.'exposition de Anne Kahane à la galerie Agnès Lefort a le charme des précédentes manifestations de cette artiste montréalaise. En cinq ans. elle a fait trois expositions individuelles, et à chaque fois elle a présenté un ensemble neuf, d’une remarquable unité, explicitant une démarche personnelle. La première fois, à la galerie Lefort, elle montrait surtout des pièces de métal découpé et battu ; la seconde fois, au Musée, des sculptures en bois polychromé ; cette année, il s'agit de plusieurs de ses fameux groupes, de constructions et de quelques œuvres monolythiques. Rappelons en passant que dans chaque exposition collective à laquelle elle participe, Mlle Kahane apporte une note indispensable.

En plus de sculptures, l'artiste expose des maquettes en métal, ou l'on peut suivre le développement d’une idée, l'ossature, d'une oeuvre importante, les dessins et les gravures, par contre, offrent le schème global, l’essentielle forme, des sculptures.

Le succès même des gravures, dont la finesse technique est admirable, peut nous éclairer sur une particularité de Anne Kahane sculpteur. Ses graphismes sont en effet très modernes, en ce sens que l’artiste ne cherche pas à produire d’illusion de volume ou d'espace plein. Elle y joue avec les valeurs de noir et de blanc pour ce qu'elles permettent de contrastes, de contours précis.

Dans la plupart de ses sculptures, l’artiste ne travaille pas la masse, mais simplement l'épaisaeur. La plupart de ses groupes sont plutôt des hauts-reliefs que des sculptures au sens précis. Vus de coté ils ne présentent le plus.souvent qu’une silhouette rectangulaire. Quant à "l’arrière", il est généralement indifférencié. En somme, ce sont des sculptures à une seule face, destinées plutôt à orner des murs qu’à animer des volumes.

Le "Vernissage” carré, la face tournée vers un centre evidé, est l'exemplaire le plus poussé d’un mode de travail de Mlle Kahane : les éléments de la sculpture sont travaillés séparément et ajustés

en un seul ensemble. Parfois, dans une oeuvre comme “La délégation”, ce n’est que pour faciliter la réalisation, mais dans ce “Vernissage” le procédé est réellement indispensable. Esprit inventif, humour, curiosité de l’effet qui sera obtenu concourent à des “recherches" qui ne sont pas entièrement plastiques, il est vrai; mais il demeure plaisant de voir un artiste qui ne s'en tienne pas à un succès estimé, mais au contraire prend des risques d’envergure.

Il y a trois ans, Mlle Kahane avait introduit la couleur vive dans ses sculptures. Elle en fait encore usage — parfois avec efficacité, comme dans ce personnage assis, auquel les verts, bleus et gris donnent de la monumentalité; par contre, dans d'autres pièces la couleur semble ne vouloir que souligner l’anecdote.

Des pièces monolithiques, telles “Dans le vent" et une autre figure debout, nous montrent ce qui est l’essence de la sculpture de Mlle Kahane — rondeurs et angles caractéristioues. du bois, forme orientée dans l’espace, mais dont une surface seule est figure, le reste de la masse étant avant tout indication de mouvement. "Dans le vent" est la seule sculpture où toute la matière employée est significative. Dans la plupart des autres oeuvres, la lacune est encore un manque de justification plastique des masses et des trous.

Robert. de Repentigny